L'addition

Publié le par Stéphane

« C’est pas tout cela…. »

Le moment de l’addition arrivait. On avait parlé de tout et de rien. Le temps s’était écoulé, sans faire de bruits, sans trop s’étirer, et chacun voyait, avec la satisfaction d’une soirée de plus passée, le moment de se quitter s’approcher.

 

Une soirée de plus pensaient-ils. Une soirée de plus ou une soirée de moins. La belle affaire !

 

Chacun affichait un sourire de courtoisie, de contentement. Stéphane, lui, y voyait des regards de complaisance. Ils ne les avaient pas encore quitté qu’il ne se souvenait déjà plus de tout ce qu’ils avaient échangés.

 

Il aimait bien être avec Véronique et Christophe. « Véro et Chris », comme chacun aimait à se murmurer ! Un couple qui n’en n’était pas un. Leur complicité apparente, quasi insultante tant elle s’étalait au grand jour, laissait à chacun sa part de fantasme sur la teneur de leur relation réelle. Chacun s’en amusait.

Sauf Olivier. Ce grand fadet, un tantinet blondinet, qui avait du tomber amoureux de Véro avant même sa première montée d’acné juvénile. Ses yeux s’allumaient chaque fois qu’il croisait sa démarche, son sourire, chaque fois qu’il entendait sa voix. Mais la vie est souvent rieuse et ce qu’Olivier ne possédait pas, Christophe en abusait avec délectation et attirait à lui tous les regards et tous les désirs.

L’un était charmeur, et l’autre était réservé. L’un pouvait conquérir toutes celles qu’il voulait, et l’autre, l’autre n’avait qu’à attendre qu’une damoiselle prenne le temps de percer cette carapace.

Et bien souvent, du temps, elles n’en n’avaient pas. Chris ne leur en laissait pas.

 

Il y avait aussi Mumu et Fred. Mariés depuis si longtemps que je n’avais même plus le souvenir de les avoir vu l’un sans l’autre. Un beau mariage, de baux enfants, de belles situations. Ils ne venaient pas à chaque repas, mais chaque fois qu’ils étaient là, je me demandais par qu’elle charité chrétienne ils avaient bien pu être poussés à venir. Il parlait de tout et de rien, mais au final, il ne restait que le rien. Le tout était intéressant, mais ne dépassait pas les résumés et les analyses des magazines grand public.

 

Et puis il y avait Isabelle.

Nous nous étions aimé. Il y a longtemps. Bien peu de temps.

Mais pour moi, elle conservait une place particulière dans ma vie, et toute mon attention.

Pour moi.

Car pour elle, je n’étais rien de plus qu’un copain de tablée. Même pas un ex parmi d’autres. Juste un garçon pour qui elle avait encore quelques sourires, comme elle pouvait en avoir pour le serveur, ou le voiturier.

 

 

C’était là mes amis. Des amis. Des connaissances. Parfois le premier, souvent le second.

Des compagnons de sorties, régulièrement, sans aucun doute. C’était plus facile.

 

J’attendais chaque dîner avec une certaine joie, comme on retrouve des souvenirs dans un grenier, une odeur de jasmin que sa grand-mère vous étalait sur vos vêtements, le goût d’un carambar ou d’une fraise tagada.

Mais chaque dîner perdait de son charme dès lors que les premières minutes étaient passées. L’odeur s’évaporait, le goût se faisait amer et le souvenir jaunit.

 

Il n’y avait rien entre nous. Plus rien. Peut être même n’y avait-il jamais rien eu. Rien de plus que ces hasards de la vie qui vous placent sur la même route, vous faisant faire un bout de chemin ensemble. Parfois on parle a son voisin de trajet, parfois non. Mais bien souvent, il n’en reste rien.

Cela me faisait penser à ces gens qui habitent la même ville ou la même région qui ne se fréquentent que pendant les vacances, à des milliers de kilomètres, se jurant chaque année de se téléphoner avant les prochaines retrouvailles.

 

Nous n’étions rien les uns pour les autres. En tout cas, ils n’étaient rien pour moi et je n’étais rien pour eux.

 

D’une certaine manière, ils ressentaient ce rendez-vous comme un leitmotiv, une motivation réelle qui consistait à se retrouver, dès lors qu’il se savait accompagnés les uns des autres

.

Un dernier décompte pour vérifier que l’addition était bien juste, bien trop élevée, comme à l’accoutumée, mais bien juste ; une dernière fois, la tasse de café déjà vide rejoignait ses lèvres, comme pour un dernier baiser, et cela en était finit pour ce soir.

 

Pendant qu’ils quittaient le restaurant, il y eut quelques regards sur les tables encore vivantes, quelques regards fuyants qui croisèrent le sien, quelques bonsoirs polis, et enfin, la porte. Et puis dehors.

 

A peine avait on quitté cette atmosphère chaude et chlorée que le contraste, frappant, de cette pluie fine, emplissant les coursives, achevant brutalement a soirée. Le voyage était terminé. Nous étions de nouveau à Paris.

 

Il ne leur fallut pas plus de trente secondes pour échanger les mots et les accolades d’usage avant que Stéphane ne s’engouffre dans la première bouche de métro venue.

 

Il était désormais seul. Et il aimait cela.

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